Un «T» rouge - Red T
French, followed by English.
J'adore quand l'actualité me fournit un sujet pour mon blog, prouvant encore une fois s'il en était nécéssaire que « la traduction c'est tout et tout est traduction ». Cette fois-ci, je profite de l'occasion de la libération de Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier pour attirer l'attention sur le sort des traducteurs et des interprètes en zone de conflits. Parce qu'on les oublie souvent, ces hommes et ces femmes qui sont non seulement au services des armées ou de l'ONU mais en plus sans qui ni les journalistes ni même les personnels d'ONG ne pourraient faire leur métier en zone de conflit. Et en temps de guerre, les traducteurs/interprètes risquent doublement leur vie: en plus d'être présents en première ligne, ils sont bien souvent pris pour cible pour la simple raison qu'ils sont traducteurs, vecteurs de communication dans un monde où la moindre information (indication sur le nom d'un individu, d'un réseau ou sur la position d'une cache d'armes...) se paye au prix fort. En Irak ou en Afghanistan, les interprètes sont bien souvent des autochtones parlant l'anglais. J'avoue ne pas savoir à quel point le secteur est professionalisé: j'imagine qu'il y a à parts égales des interprètes professionnels et des individus qui croient voir dans leur connaissance de l'anglais un passeport vers des contrées en paix, vers les USA pour ceux qui travaillent pour l'armée américaine, par exemple. En tout cas, c'est inévitable, certains les voient comme des traîtres, des espions. Sur tous les fronts de tous les conflits du monde, des interprètes sont assassinés, torturés ou pris en otage. D'autres reçoivent des lettres de menaces ou voient leurs proches se faire assassiner en représailles. En Irak, les intreprètes portent un masque (voir photo) pour éviter qu'ils ne soient reconnus puis assassinés par leurs compatriotes.
Maya Hess m'a contacté il y a quelque temps (je crois qu'elle est tombée sur mon blog par hasard) et depuis ce moment je voulais vous parler de son organisation, Red T. À vrai dire, je ne sais pas grand chose d'elle, juste que c'est un interprète suisse qui vit aujourd'hui à New York et qui a touché au milieu de l'interprétariat en zone de conflit. Red T est une initiative qui s'inspire de la Red Cross, la Croix Rouge. Cherchez la page de l'organisation sur Facebook et cliquez sur « j'aime », ou bien cliquez sur le T rouge en tête de cet article pour accéder au site Web de Red T (en anglais). Au cœur de la création de Red T, un constat : le manque de protection et de reconnaissance des traducteurs/interprètes en temps de guerre. Ils exercent souvent leur profession sans protection ni garantie aucune (que leur adviendra-t-il une fois le conflit résolu ?), ne figurent à aucun moment dans la convention de Genève (convention qui organise la protection des personnes en temps de guerre), ne reçoivent aucune formation spécifique, ne font l'objet d'aucune étude statistique sur le nombre de blessés ou de decès. Bien souvent, l'on ne connaît même pas leurs noms (la question de réveler leur identité est bien entendu problématique). Pour pallier ce manque de suivi, Red T propose plusieurs pistes de réflexion. La création d'une véritable organisation des traducteurs/interprètes en zones difficiles (guerres, camps de détention, prisons...) en est la conditon sine qua non. À terme, peut-être, un statut particulier pour nos collègues, un « T » rouge porté sur des gilets blancs, comme la croix rouge des personnels médicaux, symbole de leur neutralité et donc bien souvent le meilleur des gilets pare-balles. Mais un traducteur peut-il jamais être vraiment neutre ? Un « T » rouge n'équivaudrait-il pas à leur coller une cible sur le dos ? L'axiome « la communication est le nerf de la guerre » prend tout son sens...
En tout cas, l'« accompagnateur afghan » des deux journalistes de France 3 se nomme Reza Din, je ne crois pas réveler une information confidentielle en donnant ici son nom (étant donné que quelques minutes de recherche ont suffi pour que je l'obtienne). Au contraire, je veux utiliser son nom pour soulever une question cruciale: que va-t-il lui arriver à lui, maintenant qu'il a été libéré ? Les journalistes rentrent à Paris, Reza Din va-t-il recevoir le statut d'asile politique ? Va-t-il devoir rester à Kaboul ? Recevra-t-il une protection sur place ? Et qui financerait une telle protection ? N'avons nous pas une responsabilité également, nous autres consommateurs d'information dont l'avidité nourrit un système qui pousse inévitablement des interprètes vers des conditions difficiles ? Cette question est bien sûr indissociable de celle de la nécéssité de la présence de journalistes en zones de conflit. L'équation information = démocracie pousse à une surenchère du nombre de journalistes sur certains fronts (alors que d'autres, moins médiatiques, ne sont jamais couverts) dont est en droit de se demander si elle est légitime, surtout quand tant de vies sont en jeu. Je ne m'aventurerai pas sur un terrain si glissant, tout ce que je veux c'est que l'on pense aussi à Reza Din.
Photo: un interprète en Irak assure la communication entre les forces armées afghanes et les forces américaines dans le cadre du « transfert des responsabilités» nécéssaire au désengagement des soldats américains.
A 'terp in Irak, his face hidden so that he can play his role in the withdrawal of American troops without risk of being killed by fellow Iraquis for being a traitor.
Last week I was given the opportunity to talk about interpreters and translators in warzones when two French journalists who had been held hostage in Afghanistan for over 500 days were finally released. Not that I need an excuse to write about the men and women who put their lives on the line on the front line, but I figured I'd go with the flow of the media.
A few weeks back I got a Facebook friend request from somebody I'd never heard about. I took the time to read the message Maya Hess had left and the articles she frequently posts on her wall, and ever since then writing about her and her organisation was on my to-do list. From the feedback I've been getting about the French version of this article (which was posted a week prior to the English version, I've been a busy bee), it looks like Red T is still fairly unknown in France. It allowed me to be pretty vague about the details at the heart of Red T, but I'm guessing some of you English-speakers know their stuff.
Red T got it's name from an analogy with the Red Cross and, as you might have guessed, the T stands for translator (but if you look at the logo, you can see both a T and an I, so it encompasses both translators and interpreters). Red T is a nonprofit organization aimed at raising an awareness on the plight of those T&Is who do their job in conflict zones, be it on the front line of wars, in detention camps or in prisons. Click on the red T at the top of the page to go to their website, and read about them straight from the horse's mouth. Organizing the profession, implementing security measures for the T&Is's protection (there has been a debate as to whether they should be made to wear a white vest adorned with a red T –much like the medics and their red cross– so as to provide visual proof of their utility and neutrality), providing them with training, guidelines and legal support and collecting data about the number of T&Is injured or killed in action are just a few of the actions the lawyers, linguists and volunteers of Red T are aiming at. Because if you read the articles Red T post on their Facebook page every day (look them up, and click "Like"), you'll come to understand how ridiculously dangerous a job it is being a 'terp (war-slang for "interpreter"). Not only do they risk their lives by being in a war-zone: interpreters (who are often natives with a good grip on English) are tortured, kidnapped or murdered by their own fellow countrymen, for whom they are nothing but traitors : in Irak, they must wear masks so as not to be recognized on the job and consequently murdered (read here a very good post about that specific issue). And on top of that, there have been a number of cases in the US where interpeters were accused of "aiding and abetting terrorism" and put on trial for what they translated, and how.
So defending the T&Is in warzones is also, simply, defending the right to freedom of expression. Read about Red T and spread the word.
PS: the release of French hostages Hervé Guesquière and Stéphane Taponier made the front pages for two days and then got sucked back into the void of yesterday's news (don't blame it on the media, there's DSK, the presidential election of 2012 and the Tour de France to talk about). No one mentionned the journalists' Afghan interpreter Riza Dine and what had happened to him when the hostages were released. That's what I'm talking about. That complete lack of recognition, let alone consideration. Does anyone know anything about him?